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Atelier 2023

Les Échinides

La première partie de ce texte a été écrite pour une circonstance précise : les 25 et 26 septembre 2021, les membres des Chantiers de Marie-José Mondzain dont je fais partie étaient invités au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers à présenter des propositions de toutes sortes (film, lecture, spectacle, performance, installation, communication) en résonance avec l’œuvre de la philosophe Marie José Mondzain. Ce texte est donc, de bout en bout, marqué par la réflexion de la philosophe sur la puissance ambiguë et centrale des images dans la construction de notre imaginaire artistique et politique.

L’accueil positif qui lui a été réservé à cette occasion m’a encouragé à le prolonger récemment.  Les 4 semaines d’atelier au Labo sont destinées à vérifier si ce texte possède, ou pas, des vertus théâtrales. J’ai donc réuni Angèle Arnaud et Ahmed Belbachir pour chercher si, et de quelle manière, un passage au jeu et à la scène était possible.

L’écriture part de quelques souvenirs d’enfance en Algérie, mais il n’y a aucune volonté de procéder à une reconstitution de la réalité passée. Ce n’est pas un récit en forme de puzzle, semblable aux narrations policières des séries télévisées, qui établirait, ou rétablirait, finalement une vérité longtemps cachée. Il n’y a ni intrigue, ni dénouement. Il ne s’agit pas davantage d’un montage de fragments qui dialogueraient plus ou moins entre eux, ou dont la juxtaposition provoquerait chocs et sidération.

Je sais à peu près ce que ce texte n’est pas, mais je ne suis pas sûr de savoir ce qu’il est. Peut-être seulement ceci qui pourrait servir de résumé de l’action dramatique : un homme rencontre des figures fantomatiques, revenantes, du colonialisme et se métamorphose.

La référence à Kafka n’est pas ici de pure convenance puisque, dans un texte récent – K comme colonie – MJ Mondzain propose un commentaire et une analyse de la Colonie Pénitentiaire.  Mais s’il y a influence, elle est lointaine. Je n’ai cherché ni à pasticher Kafka, ni à mettre en théâtre le regard de la philosophe sur l’auteur de La métamorphose, mais, plutôt à organiser une dérive qui dirait la mutabilité du sujet et son instabilité dans le monde tel qu’il est.

Ce que trouve cet homme au cours de sa dérive ? De toute évidence, un enfant mort en pays colonial. Ces rencontres sont ici des retrouvailles qui fondent peut-être une métamorphose. Retrait, fuite, dépression ou métaphore, je verrai

Hervé Loichemol

Participants

Angèle Arnaud et Ahmed Belbachir

Image de fond  Atelier 2022

Atelier 2022

Thespis – Les jours heureux

La crise que traverse le théâtre ne date ni de la covid ni de ses suites. La baisse de la fréquentation, qui en est l’un des symptômes les plus immédiatement visibles, ne lui est pas réservée, mais touche également le spectacle dit vivant dans son ensemble, le cinéma et les musées. Cette crise n’est pas davantage conjoncturelle, et s’inscrit dans un mouvement social, économique et politique beaucoup plus vaste et désormais ancien.

Afin d’affronter ces questions, nous avons imaginé le projet Thespis en novembre 2020 qui articule au plus près deux domaines – l’art et le social – qui traditionnellement s’excluent et, après divers reports dus à la pandémie, nous avons entamé sa mise en oeuvre par une première étape qui s’est déroulée en mai-juin. Soutenus et encouragés par des collectivités publiques et par plusieurs fondations, nous avons réalisé une maquette afin d’en vérifier les hypothèses et d’en régler l’organisation.

Les trois semaines de recherche au Labo nous ont permis d’éprouver des textes et de les combiner. Le choix des auteurs (Büchner, Brecht, Quintane, Levin, Tarkos, Michaux, Voltaire, Ferré…) et des textes (scénettes, poèmes, chansons, musiques) nous a permis de réaliser un montage serré et cohérent autour du secours et de la solidarité, léger techniquement, plutôt drôle, et susceptible de favoriser une relation dynamique avec les spectateurs.

Trois interventions ont été proposées au public les 14 et 19 juin à Prevessin-Moëns, Ville-la-Grand et Annemasse, dans des contextes à chaque fois très différents. Ces trois rencontres, qui ont clôturé cette période d’expérimentation, ont été riches d’enseignements et nous permettent dès à présent de préparer la version complète du projet avec plus de précision.

Outre les aspects techniques et logistiques apparus au cours du travail et qui demanderont une grande attention, ces trois interventions ont révélé combien l’angle collaboratif de ce projet est essentiel : collaboration avec les associations citoyennes, collaboration avec les élus et les différents responsables des services au sein des communes, collaboration entre les partenaires aux différents niveaux de décision, collaboration avec les animateurs des quartiers et évidemment collaboration entre l’équipe artistique et les travailleurs sociaux.

Cette caractéristique de notre projet répond précisément aux problèmes posés par l’atomisation due à la domination d’un marché de la culture et au cloisonnement des divers secteurs culturels qui en découle. En effet, en sortant du cadre normé de la représentation théâtrale, nous mettons à jour la profonde coupure qui s’est progressivement instituée entre le social et l’artistique que nous constatons depuis de très longues années, à partir de laquelle nous essayons de travailler et que nous tentons de traiter. La sortie du schéma spectaculaire aujourd’hui dominant et le développement des pratiques collaboratives devraient permettre d’ouvrir de nouvelles relations au sein des quartiers visités et, de surcroît, de renouveler les formes et les discours esthétiques.

Cette première phase de travail a confirmé le bien-fondé de notre projet, sa pertinence aujourd’hui et nous a donné le sentiment de reprendre un fil rompu depuis longtemps. L‘élaboration de notre maquette a montré à quel point nous sommes le plus souvent coupés des réalités dont nous parlons, des principes que nous défendons et combien cette aventure sonne à la fois comme des retrouvailles et comme l’ouverture d’une perspective d’autant plus exaltante qu’elle est empreinte d’humilité.

Hervé Loichemol

Participants

Anne Durand, Hélène Firla, Thierry Jorand, Nathalie Hellen, Gilles Vuissoz

Image de fond Atelier 2021

Atelier 2021

J’attends toujours d’après Diderot

Savez-vous quels sont les tableaux qui m’appellent sans cesse ?

Ceux qui m’offrent le spectacle d’un grand mouvement ?

Point du tout, mais ceux où les figures tranquilles me semblent prêtes à se mouvoir.

J’attends toujours.

Diderot (Lettre à Marie-Jeanne Riccoboni, 27 novembre 1758)

En proposant d’installer le salon sur le théâtre, de remplacer la place publique par le salon privé, Diderot ne s’est pas contenté de réaliser un changement de décor. Il a transformé la relation de la scène à la salle, du théâtre aux spectateurs et ouvert de nouveaux horizons à la représentation.

Pour compléter ce grand chambardement, Diderot a remis en cause le déroulement et la temporalité de l’action dramatique. Dans Le Fils naturel par exemple, le temps n’est plus indexé sur sa correspondance avec les règles classiques, il n’est plus soumis à l’enchaînement des causes et des conséquences, il relève de la commémoration, de la répétition, et finit par buter sur le réel. Le temps ne se mesure plus, il s’éprouve, comme dans la vie. C’est donc un temps neuf qui régit désormais l’action, où le moment peut seul rendre compte de la vérité et de la réalité.

Le choix de l’instant est donc décisif, comme nous le montre Diderot quand il commente son propre portrait réalisé par Michel Van Loo. Car le peintre peut se tromper, faire le mauvais choix. Comme le comédien.

La peinture devient un modèle pour l’acteur, mais, à la différence du portrait qui fige l’instant, le jeu est soumis à un ordre des successions et s’inscrit dans un devenir. Le jeu de l’acteur est donc ouvert à une tension entre la sensibilité de l’instant et son épuisement dans la répétition. Désormais l’acteur ne s’adresse plus frontalement aux spectateurs, il lui tourne le dos, il est travaillé par une contradiction nouvelle et non résolue : comme le peintre à la recherche de l’instant le plus juste, le voici contraint à un impossible montage pour rendre compte du mouvement, de la durée et du devenir. Cette tension provoque une suspension du temps, celui  de Diderot qui « attend toujours » que les figures immobiles se mettent en mouvement.

Rien de passif dans cette attente. Au contraire. Diderot tente de saisir l’instant juste, celui de la mutation, du passage d’un état à l’autre, d’un régime à l’autre.  Il se situe au point exact où tout peut basculer, juste avant, en suspension. Il définit là, sous nos yeux incrédules, une esthétique qui viendra.

Il s’agissait donc pour nous de reprendre ses propositions et d’en éprouver la pertinence aujourd’hui. De saisir l’air du temps. Le nôtre autant que le sien. Le nôtre aussi troublé et chaotique que le sien, différemment bien sûr, mais saturé de questions, suspendu, bouleversant.

Quitte, comme il le dit, « à mettre le spectateur à la gêne ».

Hervé Loichemol

Participants

Anne Durand, Denis Guénoun, Hervé Loichemol